Les chasseurs de primes en piste
Publié le 12/04/2012 | 02H23 GMT
Imprimer | Envoyer par E-mail | Commenter
Au moment où le pays vient de mettre en place un nouveau régime dont on attend beaucoup, et qui est confronté avec d’énormes difficultés financières, certains journalistes n’arrêtent pas de faire la promotion d’entraîneurs étrangers. Le dernier ministre des sports parlait d’un salaire de 25 millions de francs cfa pour celui qui sera choisi parmi la soixantaine de postulants. Ceci dans un pays où les deux tiers de la population survivent en dessous du seuil de pauvreté.
Dans la situation actuelle du pays, avec les attentes pressantes des populations, il est irresponsable de présenter le football comme une priorité nationale. Le football n’est du reste pas le seul sport pratiqué dans le pays : il se trouve seulement qu’il est le plus médiatisé. Depuis 2000, ce sont des milliards qui ont été engloutis dans le football pendant que la demande sociale était oubliée. Et pour quels résultats ? Même si le Sénégal remportait la coupe du monde, qu’est-ce que cela changerait au quotidien des goorgoorlu ?
Cela dit, tous ces candidats étrangers au poste d’entraîneur de l’équipe nationale de football présentent la même caractéristique : ils sont au chômage dans leurs pays respectifs. Ils n’arrivent même pas à trouver emploi auprès de clubs de seconde division. Et ils veulent venir se sucrer au Sénégal, perçu comme leur caverne d’Ali Baba : de vulgaires chasseurs de primes. Quel respect pour les Africains ! Qui peut envisager que Laurent Blanc, Didier Deschamps, Arsène Wenger actuellement en poste démissionnent pour venir en Afrique ? Je me souviens qu’en 1988, le club Le Havre A.C. évoluait en 1ère division française, avec comme entraîneur un certain Didier Notheaux. A la fin des matches aller, l’équipe avait déjà un pied en deuxième division. Notheaux, sachant ce qui allait lui arriver dans les semaines à venir, dévoile ainsi son plan futur de carrière sur RFI : « je voudrais entraîner une équipe en Afrique, de préférence une équipe nationale ».
Et 10 ans après, il a eu son équipe nationale d’Afrique avec le Burkina Faso, mais l’expérience fut de courte durée, pour des raisons bien compréhensibles.
Ceux qui au Sénégal souhaitent le recrutement d’un entraîneur étranger ont vraiment la mémoire courte : Claude Leroy, Bruno Metsu, Guy Stephan, Henry Kasperczak, ne sont-ils pas passés par là ? Ont-ils fait mieux que les entraîneurs nationaux à qui on ne pardonne rien ? De combien ont-ils grevé le budget national ?
On oublie aussi que l’Egypte avait dominé la CAN au cours de ces dernières années avec le même entraîneur national. Lorsque le Sénégal élimine le Cameroun de la CAN 2012, c’est avec un entraîneur national, alors que son adversaire était managé par Javier Clemente qui est passé par des équipes de la première division espagnole, et par des équipes nationales comme l’Espagne et la Serbie, sans aucun résultat.
Penchons-nous d’ailleurs sur le ‘’palmarès’’ de ces globe-trotters qui sillonnent l’Afrique, avec les équipes nationales qu’ils ont entraînées :
Alain Giresse : Gabon, Mali ; c’est le moins ‘’capé’’, parce que nouveau venu en Afrique
Henryk Kasperczak : Côte d’Ivoire, Tunisie, Maroc, Mali, Sénégal
Claude Leroy : Cameroun, R.D. Congo (à 2 reprises), Ghana
Henri Michel : équipe de France, Cameroun, Maroc (à 2 reprises), Tunisie, Côte d’Ivoire, Guinée Equatoriale
Philippe Troussier : Côte d’Ivoire, Nigeria, Burkina Faso, Afrique du Sud, Japon, Maroc, Qatar
Sven-Goran Eriksson : Angleterre, Mexique, Côte d’Ivoire
Du lot, seul Leroy a gagné une CAN en 1988 avec le Cameroun ; en rappelant qu’il avait trois ans auparavant pris en mains une équipe championne d’Afrique en titre. Sinon, la CAN n’a jamais souri à ces entraîneurs super médiatisés et super chers. En plus, chacun d’entre eux s’est essayé dans un club de la première division française, avec des échecs cuisants qui leur ont valu le limogeage, puis le parachutage sur l’Eldorado africain. Il est vraiment temps que les responsables africains du football regardent la réalité en face et se secouent pour mettre fin à ce complexe de l’entraîneur étranger.
En fait, il convient de ramener les choses à leurs justes proportions : ce n’est jamais un entraîneur qui fait le succès d’une équipe ; ce sont des joueurs de qualité qui gagnent un match. Un entraîneur surmédiatisé comme José Mourinho sait à quoi s’en tenir. Son ambition disait-il il y a trois ans, est d’être le seul à avoir gagné les trois championnats les plus en vue en Europe. Lorsqu’il le disait, il avait, avec Chelsea en Angleterre, Inter Milan en Italie, gagné le championnat, avec des joueurs vedettes. Je savais moi, qu’il visait le Réal Madrid ; ce qui fut fait. Quand on va en Espagne pour prendre en charge le Réal ou le FC Barcelone, on sait qu’on a une chance sur deux de remporter le championnat, car ce sont les deux seuls clubs qui peuvent y parvenir. Dès son arrivée au Réal, il fait recruter des joueurs qui s’étaient illustré à la coupe du monde 2010. Où se trouve alors son mérite ? Que n’est-il allé vers des clubs comme Séville, Valence, Atletico Madrid, pour leur permettre de gagner une fois le championnat, s’il est aussi fort qu’il le prétend ?
Quelqu’un de réfléchi et de bien rusé sur ce point, c’est Aimé Jacquet, entraîneur de l’équipe de France qui a gagné la coupe du monde en 1998 : aussitôt après, il refuse toutes les propositions qui lui sont été faites par des clubs et des équipes nationales, afin de ne pas ternir son blason, sachant que comme les autres, il allait inévitablement essuyer des échecs. Auparavant, avec l’équipe des Girondins de Bordeaux, il avait certes gagné des trophées, mais avec des joueurs d’envergure. Par la suite, à Montpellier et à Nancy, avec des joueurs moins étoffés, aucun résultat.
Il ne viendrait l’idée à personne de mettre sur le compte d’un quelconque entraîneur les performances du Réal Madrid des Di Stefano, Puskas, Gento, Del Sol …, du Brésil des Pelé, Djalma Santos, Nilton Santos, Garrincha, Zito, Vava, Tostao… (des footballeurs que l’auteur de ces lignes a vus évoluer sur le terrain). D’ailleurs la mode des entraîneurs – c’est bien d’une mode qu’il s’agit – n’existait pas encore. Quel spectacle affligeant que de voir dans le football d’aujourd’hui des entraîneurs sauter et danser comme des gamins supporters lorsque leur équipe marque un but qui peut même ne pas être décisif ! Ou bien de s’infliger des contorsions lorsqu’un de leurs joueurs rate un but facile ! On se croirait vraiment au music hall, car ils se savent sous les feux des caméras des télévisions.
On nous sert maintenant un nouveau terme ‘’technique’’, ‘’savant’’ : coaching : lorsqu’en cours de match un joueur est remplacé par un autre qui s’avère plus performant, on salue le génie de l’entraîneur : il a fait un bon coaching. Pour moi, il avait plutôt fait un mauvais classement au départ.
Ce sont les jeunes journalistes actuels, nés après 1970, donc nouveaux venus au football, africains comme européens, qui s’extasient devant ces entraîneurs qui ne vont que vers des clubs dotés de moyens leur permettant de recruter à gogo. Et ils ne sont d’ailleurs pas à l’abri de mauvais résultats. Qui connaît le nom de l’entraîneur de l’équipe amateur de Quévilly qui vient d’éliminer en coupe de France l’Olympique de Marseille avec son ‘’chevronné’’ Didier Deschamps ? Où était donc la ‘’baguette magique’’ de celui-ci ? Lors de la dernière CAN, l’équipe du Maroc a plié bagages dès le premier tour, et pourtant entraînée par le Belge Eric Gerets qui est passé par de grands clubs européens.
La seule fois où la Côte d’Ivoire a gagné la CAN, c’était en 1992 à Dakar, avec un entraîneur ivoirien, mais avec des joueurs de qualité. .Depuis 1993, l’équipe nationale a vu défiler une kyrielle d’entraîneurs ‘’de haut niveau’’ (cela signifie quoi au juste ?) : Philippe Troussier, Henryk Kasperczac, Pierre Pleimelding, Robert Nouzaret, Patrick Parizon, Henri Michel (limogé de l’équipe de France) Ulrich Stielike, Gérard Gili, Vahid Halilhodzic (limogé du PSG), Sven-Goran Eriksson (limogé de l’équipe d’Angleterre). Avec uniquement échecs et désillusions à l’arrivée.
Depuis 2002, le Cameroun court derrière la coupe d’Afrique qu’elle n’arrive plus à gagner en dépit d’un recrutement diversifié d’entraîneurs étrangers de renom : Artur Jorge (Portugal), Arie Haan (Hollande), Otto Pfister (Allemagne), Paul Le Guen (France), Javier Clemente (Espagne).
Lors de la CAN 2012, l’équipe ivoirienne, vingt ans après, est confiée à un entraîneur national ; elle ne perd la finale qu’à l’épreuve des tirs de pénalty ; dans la déception du moment, il est question de le limoger, comme s’il lui incombait d’apprendre à tirer des pénalties à des professionnels opérant dans de grands clubs européens.
La vérité aussi est que ces stars africaines du football, toutes nationalités confondues, ne sont pas aussi brillantes qu’on le dit. Il se trouve que le niveau du football a tellement baissé partout dans le monde, que n’importe qui peut actuellement tirer son épingle du jeu. Le record de buts marqués en coupe du monde est détenu depuis 1958 par Just Fontaine (13 buts) : un record qui n’est pas près d’être approché. Quant à ces joueurs vedettes africains actuellement médiatisés, aucun d’entre eux n’arrive à la cheville d’un Salif Keita ou d’un Laurent Pokou, pour ne parler que des professionnels.
L’ère des grands entraîneurs découvreurs de jeunes talents, formateurs, inspirateurs de systèmes de jeu est révolue. C’était dans les années 1950 et 1960. Je pense à Helenio Herrera qui à l’Inter Milan, mit en place le catenaccio, c’est-à-dire le système de deux défenseurs centraux, un stoppeur et un verrouilleur : le système décrié à l’époque comme trop défensif a finalement été adopté partout. Je pense à Albert Batteux, inventeur du corner à deux temps, le corner à la Rémoise fait de petites passes à raz-de-terre, dans une équipe qui ne comptait pas de grands gabarits pour les corners tirés en direct. En France, après Jean Snella à Saint-Etienne, Kader Firoud à Nîmes, José Arribas à Nantes, c’est Guy Roux avec Auxerre qui est certainement le dernier de cette race d’entraîneurs.
C’était aussi l’époque des grands dirigeants comme Henri Germain à Reims, puis Roger Rocher à Saint-Etienne, Santiago Benabéu au Réal Madrid ... Rien à voir avec ces dirigeants actuels de grands clubs européens ‘’subitement devenus riches’’ et qui n’ont aucune culture du football. Ils pensent que le football, c’est une question d’entraîneur, et ils en changent dès que le club aligne de mauvais résultats, après avoir été performant. Comment un entraîneur peut-il être bon cette année parce que l’équipe gagne un trophée, et mauvais l’année suivante parce que l’équipe ne gagne rien ? Il est alors aussitôt viré. Aucun entraîneur actuellement en Europe ne se sent en sécurité.
Moralité : il faut en finir avec ce complexe de l’entraîneur étranger, ‘’sorcier blanc’’. Le succès de la Zambie lors de la CAN 2012 me paraît être due à deux facteurs : (1) la détermination des joueurs en souvenir de la catastrophe aérienne qui avait décimé leurs aînés au large des côtes du Gabon ; (2) la faiblesse des équipes en présence, avec l’absence de l’Egypte. Sinon, l’équipe n’avait rien de terrible ; elle a gagné la coupe d’Afrique, comme le Danemark en 1992 et la Grèce en 2004 avaient remporté la coupe d’Europe des nations, contre toute attente. Après le succès sur le Sénégal, l’entraîneur Hervé Renard déclarait : « Je savais que les défenseurs sénégalais n’étaient pas rapides ». Il faisait ainsi son marketing personnel, s’attribuant le mérite de la victoire. Certains de nos journalistes sont tombés dans le panneau, faisant véritablement pour lui office de démarcheur pour l’équipe nationale. Il se trouve simplement que les joueurs zambiens, sont de petite taille et véloces, ce qui ne relève tout de même pas du ‘’génie’’ de l’entraîneur.
Contentons-nous de nos entraîneurs nationaux. Mais qu’ils modèrent aussi leurs prétentions financières ! Est-il normal, voire décent, qu’un entraîneur de football gagne en un mois ce qu’un médecin ne gagne pas en une année ? Les populations ont-elles plus besoin d’entraîneurs de football que de médecins ?
Il se trouve simplement qu’au cours de ces dernières années, le football a été instrumentalisé comme ‘’opium du peuple’’ par le pouvoir, pour amener les Sénégalais, les jeunes surtout, à oublier leurs véritables problèmes.
La première défaite de Wade en cette année 2012 avant les élections a été l’élimination éclair de l’équipe nationale à la CAN : il avait tout misé là-dessus à coup de milliards ; ses partisans nourrissaient l’espoir de reprendre le slogan de 2002 : « Le Sénégal qui gagne, c’est Wade !». Et le Sénégal qui a perdu, c’est qui même ?
Publié le 12/04/2012 | 02H23 GMT
Imprimer | Envoyer par E-mail | Commenter
Au moment où le pays vient de mettre en place un nouveau régime dont on attend beaucoup, et qui est confronté avec d’énormes difficultés financières, certains journalistes n’arrêtent pas de faire la promotion d’entraîneurs étrangers. Le dernier ministre des sports parlait d’un salaire de 25 millions de francs cfa pour celui qui sera choisi parmi la soixantaine de postulants. Ceci dans un pays où les deux tiers de la population survivent en dessous du seuil de pauvreté.
Dans la situation actuelle du pays, avec les attentes pressantes des populations, il est irresponsable de présenter le football comme une priorité nationale. Le football n’est du reste pas le seul sport pratiqué dans le pays : il se trouve seulement qu’il est le plus médiatisé. Depuis 2000, ce sont des milliards qui ont été engloutis dans le football pendant que la demande sociale était oubliée. Et pour quels résultats ? Même si le Sénégal remportait la coupe du monde, qu’est-ce que cela changerait au quotidien des goorgoorlu ?
Cela dit, tous ces candidats étrangers au poste d’entraîneur de l’équipe nationale de football présentent la même caractéristique : ils sont au chômage dans leurs pays respectifs. Ils n’arrivent même pas à trouver emploi auprès de clubs de seconde division. Et ils veulent venir se sucrer au Sénégal, perçu comme leur caverne d’Ali Baba : de vulgaires chasseurs de primes. Quel respect pour les Africains ! Qui peut envisager que Laurent Blanc, Didier Deschamps, Arsène Wenger actuellement en poste démissionnent pour venir en Afrique ? Je me souviens qu’en 1988, le club Le Havre A.C. évoluait en 1ère division française, avec comme entraîneur un certain Didier Notheaux. A la fin des matches aller, l’équipe avait déjà un pied en deuxième division. Notheaux, sachant ce qui allait lui arriver dans les semaines à venir, dévoile ainsi son plan futur de carrière sur RFI : « je voudrais entraîner une équipe en Afrique, de préférence une équipe nationale ».
Et 10 ans après, il a eu son équipe nationale d’Afrique avec le Burkina Faso, mais l’expérience fut de courte durée, pour des raisons bien compréhensibles.
Ceux qui au Sénégal souhaitent le recrutement d’un entraîneur étranger ont vraiment la mémoire courte : Claude Leroy, Bruno Metsu, Guy Stephan, Henry Kasperczak, ne sont-ils pas passés par là ? Ont-ils fait mieux que les entraîneurs nationaux à qui on ne pardonne rien ? De combien ont-ils grevé le budget national ?
On oublie aussi que l’Egypte avait dominé la CAN au cours de ces dernières années avec le même entraîneur national. Lorsque le Sénégal élimine le Cameroun de la CAN 2012, c’est avec un entraîneur national, alors que son adversaire était managé par Javier Clemente qui est passé par des équipes de la première division espagnole, et par des équipes nationales comme l’Espagne et la Serbie, sans aucun résultat.
Penchons-nous d’ailleurs sur le ‘’palmarès’’ de ces globe-trotters qui sillonnent l’Afrique, avec les équipes nationales qu’ils ont entraînées :
Alain Giresse : Gabon, Mali ; c’est le moins ‘’capé’’, parce que nouveau venu en Afrique
Henryk Kasperczak : Côte d’Ivoire, Tunisie, Maroc, Mali, Sénégal
Claude Leroy : Cameroun, R.D. Congo (à 2 reprises), Ghana
Henri Michel : équipe de France, Cameroun, Maroc (à 2 reprises), Tunisie, Côte d’Ivoire, Guinée Equatoriale
Philippe Troussier : Côte d’Ivoire, Nigeria, Burkina Faso, Afrique du Sud, Japon, Maroc, Qatar
Sven-Goran Eriksson : Angleterre, Mexique, Côte d’Ivoire
Du lot, seul Leroy a gagné une CAN en 1988 avec le Cameroun ; en rappelant qu’il avait trois ans auparavant pris en mains une équipe championne d’Afrique en titre. Sinon, la CAN n’a jamais souri à ces entraîneurs super médiatisés et super chers. En plus, chacun d’entre eux s’est essayé dans un club de la première division française, avec des échecs cuisants qui leur ont valu le limogeage, puis le parachutage sur l’Eldorado africain. Il est vraiment temps que les responsables africains du football regardent la réalité en face et se secouent pour mettre fin à ce complexe de l’entraîneur étranger.
En fait, il convient de ramener les choses à leurs justes proportions : ce n’est jamais un entraîneur qui fait le succès d’une équipe ; ce sont des joueurs de qualité qui gagnent un match. Un entraîneur surmédiatisé comme José Mourinho sait à quoi s’en tenir. Son ambition disait-il il y a trois ans, est d’être le seul à avoir gagné les trois championnats les plus en vue en Europe. Lorsqu’il le disait, il avait, avec Chelsea en Angleterre, Inter Milan en Italie, gagné le championnat, avec des joueurs vedettes. Je savais moi, qu’il visait le Réal Madrid ; ce qui fut fait. Quand on va en Espagne pour prendre en charge le Réal ou le FC Barcelone, on sait qu’on a une chance sur deux de remporter le championnat, car ce sont les deux seuls clubs qui peuvent y parvenir. Dès son arrivée au Réal, il fait recruter des joueurs qui s’étaient illustré à la coupe du monde 2010. Où se trouve alors son mérite ? Que n’est-il allé vers des clubs comme Séville, Valence, Atletico Madrid, pour leur permettre de gagner une fois le championnat, s’il est aussi fort qu’il le prétend ?
Quelqu’un de réfléchi et de bien rusé sur ce point, c’est Aimé Jacquet, entraîneur de l’équipe de France qui a gagné la coupe du monde en 1998 : aussitôt après, il refuse toutes les propositions qui lui sont été faites par des clubs et des équipes nationales, afin de ne pas ternir son blason, sachant que comme les autres, il allait inévitablement essuyer des échecs. Auparavant, avec l’équipe des Girondins de Bordeaux, il avait certes gagné des trophées, mais avec des joueurs d’envergure. Par la suite, à Montpellier et à Nancy, avec des joueurs moins étoffés, aucun résultat.
Il ne viendrait l’idée à personne de mettre sur le compte d’un quelconque entraîneur les performances du Réal Madrid des Di Stefano, Puskas, Gento, Del Sol …, du Brésil des Pelé, Djalma Santos, Nilton Santos, Garrincha, Zito, Vava, Tostao… (des footballeurs que l’auteur de ces lignes a vus évoluer sur le terrain). D’ailleurs la mode des entraîneurs – c’est bien d’une mode qu’il s’agit – n’existait pas encore. Quel spectacle affligeant que de voir dans le football d’aujourd’hui des entraîneurs sauter et danser comme des gamins supporters lorsque leur équipe marque un but qui peut même ne pas être décisif ! Ou bien de s’infliger des contorsions lorsqu’un de leurs joueurs rate un but facile ! On se croirait vraiment au music hall, car ils se savent sous les feux des caméras des télévisions.
On nous sert maintenant un nouveau terme ‘’technique’’, ‘’savant’’ : coaching : lorsqu’en cours de match un joueur est remplacé par un autre qui s’avère plus performant, on salue le génie de l’entraîneur : il a fait un bon coaching. Pour moi, il avait plutôt fait un mauvais classement au départ.
Ce sont les jeunes journalistes actuels, nés après 1970, donc nouveaux venus au football, africains comme européens, qui s’extasient devant ces entraîneurs qui ne vont que vers des clubs dotés de moyens leur permettant de recruter à gogo. Et ils ne sont d’ailleurs pas à l’abri de mauvais résultats. Qui connaît le nom de l’entraîneur de l’équipe amateur de Quévilly qui vient d’éliminer en coupe de France l’Olympique de Marseille avec son ‘’chevronné’’ Didier Deschamps ? Où était donc la ‘’baguette magique’’ de celui-ci ? Lors de la dernière CAN, l’équipe du Maroc a plié bagages dès le premier tour, et pourtant entraînée par le Belge Eric Gerets qui est passé par de grands clubs européens.
La seule fois où la Côte d’Ivoire a gagné la CAN, c’était en 1992 à Dakar, avec un entraîneur ivoirien, mais avec des joueurs de qualité. .Depuis 1993, l’équipe nationale a vu défiler une kyrielle d’entraîneurs ‘’de haut niveau’’ (cela signifie quoi au juste ?) : Philippe Troussier, Henryk Kasperczac, Pierre Pleimelding, Robert Nouzaret, Patrick Parizon, Henri Michel (limogé de l’équipe de France) Ulrich Stielike, Gérard Gili, Vahid Halilhodzic (limogé du PSG), Sven-Goran Eriksson (limogé de l’équipe d’Angleterre). Avec uniquement échecs et désillusions à l’arrivée.
Depuis 2002, le Cameroun court derrière la coupe d’Afrique qu’elle n’arrive plus à gagner en dépit d’un recrutement diversifié d’entraîneurs étrangers de renom : Artur Jorge (Portugal), Arie Haan (Hollande), Otto Pfister (Allemagne), Paul Le Guen (France), Javier Clemente (Espagne).
Lors de la CAN 2012, l’équipe ivoirienne, vingt ans après, est confiée à un entraîneur national ; elle ne perd la finale qu’à l’épreuve des tirs de pénalty ; dans la déception du moment, il est question de le limoger, comme s’il lui incombait d’apprendre à tirer des pénalties à des professionnels opérant dans de grands clubs européens.
La vérité aussi est que ces stars africaines du football, toutes nationalités confondues, ne sont pas aussi brillantes qu’on le dit. Il se trouve que le niveau du football a tellement baissé partout dans le monde, que n’importe qui peut actuellement tirer son épingle du jeu. Le record de buts marqués en coupe du monde est détenu depuis 1958 par Just Fontaine (13 buts) : un record qui n’est pas près d’être approché. Quant à ces joueurs vedettes africains actuellement médiatisés, aucun d’entre eux n’arrive à la cheville d’un Salif Keita ou d’un Laurent Pokou, pour ne parler que des professionnels.
L’ère des grands entraîneurs découvreurs de jeunes talents, formateurs, inspirateurs de systèmes de jeu est révolue. C’était dans les années 1950 et 1960. Je pense à Helenio Herrera qui à l’Inter Milan, mit en place le catenaccio, c’est-à-dire le système de deux défenseurs centraux, un stoppeur et un verrouilleur : le système décrié à l’époque comme trop défensif a finalement été adopté partout. Je pense à Albert Batteux, inventeur du corner à deux temps, le corner à la Rémoise fait de petites passes à raz-de-terre, dans une équipe qui ne comptait pas de grands gabarits pour les corners tirés en direct. En France, après Jean Snella à Saint-Etienne, Kader Firoud à Nîmes, José Arribas à Nantes, c’est Guy Roux avec Auxerre qui est certainement le dernier de cette race d’entraîneurs.
C’était aussi l’époque des grands dirigeants comme Henri Germain à Reims, puis Roger Rocher à Saint-Etienne, Santiago Benabéu au Réal Madrid ... Rien à voir avec ces dirigeants actuels de grands clubs européens ‘’subitement devenus riches’’ et qui n’ont aucune culture du football. Ils pensent que le football, c’est une question d’entraîneur, et ils en changent dès que le club aligne de mauvais résultats, après avoir été performant. Comment un entraîneur peut-il être bon cette année parce que l’équipe gagne un trophée, et mauvais l’année suivante parce que l’équipe ne gagne rien ? Il est alors aussitôt viré. Aucun entraîneur actuellement en Europe ne se sent en sécurité.
Moralité : il faut en finir avec ce complexe de l’entraîneur étranger, ‘’sorcier blanc’’. Le succès de la Zambie lors de la CAN 2012 me paraît être due à deux facteurs : (1) la détermination des joueurs en souvenir de la catastrophe aérienne qui avait décimé leurs aînés au large des côtes du Gabon ; (2) la faiblesse des équipes en présence, avec l’absence de l’Egypte. Sinon, l’équipe n’avait rien de terrible ; elle a gagné la coupe d’Afrique, comme le Danemark en 1992 et la Grèce en 2004 avaient remporté la coupe d’Europe des nations, contre toute attente. Après le succès sur le Sénégal, l’entraîneur Hervé Renard déclarait : « Je savais que les défenseurs sénégalais n’étaient pas rapides ». Il faisait ainsi son marketing personnel, s’attribuant le mérite de la victoire. Certains de nos journalistes sont tombés dans le panneau, faisant véritablement pour lui office de démarcheur pour l’équipe nationale. Il se trouve simplement que les joueurs zambiens, sont de petite taille et véloces, ce qui ne relève tout de même pas du ‘’génie’’ de l’entraîneur.
Contentons-nous de nos entraîneurs nationaux. Mais qu’ils modèrent aussi leurs prétentions financières ! Est-il normal, voire décent, qu’un entraîneur de football gagne en un mois ce qu’un médecin ne gagne pas en une année ? Les populations ont-elles plus besoin d’entraîneurs de football que de médecins ?
Il se trouve simplement qu’au cours de ces dernières années, le football a été instrumentalisé comme ‘’opium du peuple’’ par le pouvoir, pour amener les Sénégalais, les jeunes surtout, à oublier leurs véritables problèmes.
La première défaite de Wade en cette année 2012 avant les élections a été l’élimination éclair de l’équipe nationale à la CAN : il avait tout misé là-dessus à coup de milliards ; ses partisans nourrissaient l’espoir de reprendre le slogan de 2002 : « Le Sénégal qui gagne, c’est Wade !». Et le Sénégal qui a perdu, c’est qui même ?