Pape Diouf, ancien président de l’Olympique de Marseille
« Pourquoi Charles ne joue pas, c’est parce qu’il a coûté moins cher à l’OM »
lundi 18 janvier 2010
Les supporters de L’OM l’appellent encore président même s’il n’est plus en
fonction. Pape Diouf a marqué l’histoire de Marseille comme étant le
premier noir à diriger un club de ligue 1. C’est cet homme
charismatique présent à Luanda dans le cadre de la CAN que nous avons
rencontré pour nos lecteurs. Il parle de Charles Kaboré et de sa
difficulté à s’imposer à l’OM et jette un regard sur le football
africain.
En tant qu’observateur avisé du football, comment voyez-vous l’évolution du football africain ?
L’évolution du football africain est à observer sous deux angles. Il
y a deux versants. Le premier est que si l’on considère l’inventaire de
tous les joueurs africains qui évoluent dans des championnats très
importants, on peut effectivement parler de progression indiscutable.
Aujourd’hui, quasiment toutes les nations africaines comptent en leur
sein des joueurs qui s’illustrent ou qui se sont illustrés dans les
grands championnats européens.
C’est quand même un facteur de progression incontestable. De l’autre
côté, on peut également regretter ce départ massif de tous nos joueurs.
Départs qui appauvrissent les compétitions locales. Alors, ça amène ce
paradoxe que d’un coté les équipes nationales sont devenues plus
fortes, mais localement le football africain n’a ni attrait ni intérêt
et ça, on peut le regretter parce que si un joueur démontre quelques
qualités, aussitôt il est l’objet de sollicitations extérieures, en
règle générale d’une sollicitation européenne.
Selon vous, quelles sont les nations qui se détachent du lot au cours de cette XXVIIe CAN ?
La Côte d’Ivoire et le Cameroun ont été désignés par tous, comme les
grands favoris de l’épreuve. J’avais ajouté à ces deux nations les pays
du Maghreb à savoir l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie et les deux pays
anglophones, le Nigeria et le Ghana. J’avais aussi, dans la périphérie
du pronostic, inclu le Gabon, le Burkina Faso et l’Angola qui joue à
domicile en disant que ces pays-là peuvent avoir des prétentions. Donc
cela signifie qu’il y a de mon point de vue un véritable nivellement de
valeurs.
Dans l’entame de la compétition par contre, il y a eu des
surprises. La hiérarchie a été bousculée, chahutée et on n’a pas vu les
équipes qu’on attendait ou elles étaient tenues en échec comme la Côte
d’Ivoire même si elle finit, du fait de l’infirmité du groupe, par se
qualifier. On a vu le Cameroun perdre et l’Algérie subir une défaite
spectaculaire.
En somme, tous les mondialistes ont connu un départ plus que
laborieux. On s’aperçoit qu’il y a un nivellement qui n’est plus comme
je l’avais dit au départ, par le haut mais plutôt par le milieu.
C’est-à-dire que les nations qu’on avait désignées comme favorites ont
marqué le pas et celles qu’on considérait comme plus petites se sont un
peu rapprochées.
Dites- nous pourquoi un joueur comme Charles Kaboré peine à s’imposer à Marseille ?
Charles Kaboré a été longtemps considéré à Marseille comme un jeune
joueur. Il a le tord entre guillemets de n’avoir pas coûté très cher ;
peut-être que si Charles avait, avant de venir à Marseille explosé dans
un club de L1 et avoir été acheté à un prix très élevé, il jouerait. On
le voit aujourd’hui à Marseille avec Lucho qui a beaucoup de
difficultés mais quand même à qui on donne un temps de jeu suffisant
puisque avant de le mettre sur la touche, on regarde un peu la balance
du prix auquel il a été payé.
C’est une explication. Une autre explication est que Charles n’a
peut-être pas ce côté tueur qu’il faut dans le milieu. Il est à mon
sens un peu trop gentil alors que dans ce milieu, il faut à un moment
savoir montrer les crocs ; ce qu’il ne fait pas suffisamment de mon
point de vue.
Mais les qualités, il les a pour s’imposer et d’ailleurs un homme
comme Eric Gerets pensait beaucoup énormement du bien de lui. Dès qu’il
est arrivé et qu’il l’a vu, il en a fait un de ses joueurs préférés.
C’est aujourd’hui à Charles de confirmer cette idée qu’un entraîneur
comme Gerets a de lui.
Vous avez été président de l’OM. Qu’est-ce qui vous a poussé à claquer la porte ?
La durée de vie d’un président à l’Olympique de Marseille en règle
générale se situe entre deux ans et deux ans et demi. Moi je suis resté
cinq ans. A part Bernard Tapis, personne n’a autant duré que moi à la
tête du club. Donc, il arrive simplement à un moment où il y a une
sorte de fin de cycle.
C’est un peu ce qui est arrivé. J’aurais pu probablement rester
encore à la tête du club si simplement autour du club j’avais pu me
mettre d’accord avec certains qui gravitent. Il aurait fallu que
j’accepte un peu plus de choses que j’ai refusées, pour que peut-être
le problème ne se pose pas. Dans la vie, j’ai pour habitude d’appliquer
la fameuse devise de Samory Touré qui disait, « l’homme quand il refuse
il dit non ».
A partir du moment où après cinq ans j’ai estimé que j’avais fait
pas mal de chose, que la manière dont on voulait desormais que je
dirige l’équipe ne me convenait pas, il etait plus raisonnable que je
me decide à partir. Lorsque je suis arrivé, il y avait un déficit de 35
millions d’euros.
Quand je suis parti, il y a eu un bénéfice de 35 millions d’euros.
Je pense que le courant populaire qui continue à me porter et dont je
suis aujourd’hui l’objet quand je marche dans la rue ou quand je vais
au stade participe de ce départ la tête haute.
Quel message voulez-vous véhiculer dans le récent livre que vous venez de mettre sur le marché ?
C’est un livre que je n’ai pas personnellement suscité. Ce livre est
né dans la tête de Pascal Boniface qui est le directeur de l’Institut
des relations internationales et stratégiques (IRIS) que j’avais connu
dans les cercles du football français.
Il présidait le jury de l’Union des clubs professionnels de France
(UCPF), un jury qui chaque année, distribue le meilleur livre de
l’année traitant des questions sportives. Je l’ai connu dans ce cercle
et il m’a pris beaucoup par sympathie, me répétant parfois que j’étais
un homme en dehors du football qui avait des idées qu’il trouverait
intéressant qu’ensemble nous puissions les exprimer.
Ce n’était pas une autobiographie, ce n’était pas au départ même un
livre de message. C’était un dialogue que j’ai eu avec un intellectuel
français de haut niveau, de haute lignée.
Nous avons échangé sur beaucoup de sujets pas seulement sur le
football mais sur des questions aussi diverses que le foot, le monde
des agents, l’arrivée de Obama au pouvoir aux Etats-Unis, du racisme et
infiniment de sujets susceptibles d’intéresser. C’est un livre de
conversation à bâtons rompus que j’ai eue avec quelqu’un que j’apprécie
et qui m’apprécie.
Quel est l’avenir du football en Afrique si on sait que bientôt l’Afrique du Sud organisera la prochaine coupe du monde ?
Ce qui s’est passé ici en Angola avec le mitraillage du bus togolais
a amené les esprits chagrins, ceux qui considèrent toujours l’Afrique
avec beaucoup de condescendance, à faire tout de suite un rapprochement
et à se dire que va-t-il en être de la coupe du monde si déjà en
Angola, on a connu un évènement aussi tragique. Pour moi, c’était d’une
grande malhonnêteté intellectuelle que de faire un rapprochement entre
l’Angola et l’Afrique du Sud, entre la CAN et la coupe du monde.
Ce sont deux pays différents et deux compétitions différentes. Mais
on sait que certains, s’agissant de l’Afrique, sont toujours prêts à
dégainer dans un sens très négatif. C’est vrai que l’Afrique du Sud a
un défi très important à relever mais ce défi on l’oublie souvent, il
l’a déjà réussi en organisant et en remportant la coupe du monde de
Rugby qui était quand même un grand évènement.
Aujourd’hui je suis persuadé que l’Afrique du Sud réussira sa
compétition. On oublie de dire qu’avant les jeux olympiques d’Athènes
il y avait des craintes, à Munich en 1972, on sait ce qui s’est passé.
Il faut rester résolument optimiste.
Interview réalisée par Béranger ILBOUDO
Envoyé spécial à Luanda (Angola)